Auteure : Aurélie Dubois
Le Monde de Polotonia
« Jadis, à l’Ouest des Terres Lointaines, loin derrière les hautes montagnes rocheuses, je me souviens que s’étendait le royaume de Polotonia. Cette terre paisible abritait des humains dont la vie était liée à celle des dragons. Ici chaque habitant possédait son propre dragon, ils étaient unis par la pensée et par le cœur. Si bien que, si l’un des deux venait à mourir, l’autre mourait aussi. Lilly et Mathis étaient nés jumeaux, alors les dieux leur accordèrent un couple de dragons se prénommant: Dragus et Dragona. Tous vivaient en paix et en harmonie dans cette plaine verdoyante jusqu’au jour où Andratha, reine du monde marécageux, voulut régner sur le monde de Polotonia… »
Tout commença un jour de printemps: la source de Calvie s’écoulait en petits ruisseaux turbulents traversant toute la contrée de Polotonia. L’herbe y était haute et bien grasse. Les arbres donnaient de beaux fruits et les fleurs embaumaient tout aux alentours. Il y avait des vallées, des collines et des montagnes rocheuses, si hautes qu’elles semblaient toucher le ciel. De tous temps, les fées cohabitaient avec ces humains hors du commun. Les dragons, grands et forts vivaient ici paisiblement en compagnie de leurs humains fraternels. Ces énormes bêtes paissaient tranquillement à travers ces immenses pâturages, ils se baignaient parfois dans de grands lacs à l’eau limpide. Souvent on les voyait voler dans les airs, jouant entre eux. Ils dormaient près des habitations ou bien dans des grottes spacieuses, plus loin dans la montagne. Leurs humains et eux jouaient ou chassaient ensemble. Il n’était pas rare non plus qu’un dragon sympathise avec un elfe, allant même jusqu’à le porter sur son dos dans l’immensité du ciel. La plupart de ces dragons endossaient un rôle protecteur. Ils avaient du cœur, de l’âme et beaucoup de sagesse. Ici c’était un territoire de bonheur, de soleil, de couleurs et d’harmonie.
Tout le contraire du monde où résidait Andratha. Elle était reine, reine des marécages. Une créature mi-humaine, mi-bête: possédant la tête et le buste d’une femme et le reste du corps qui se prolongeait en une longue queue de serpent, vert bleuté. De grandes ailes prenaient racine dans son dos. Ses longs cheveux marron touchaient terre. Elle arborait de grands yeux verts en amande telles les vipères. Le territoire sur lequel son peuple évoluait était sombre, enveloppé de brouillards et de brumes. C’était une terre humide, glauque, parsemée d’étangs boueux, de sables mouvants, mais également de marécages visqueux. On y trouvait des arbres englués dans la vase, des joncs jaunis, de la mousse verdâtre, collante. L’endroit était pestilentiel. Des serpents, des araignées, des grenouilles et des crapauds y grouillaient dans tous les sens. Les seuls oiseaux visibles en ces lieux étaient des corbeaux noirs comme la nuit. Ils épiaient des lutins perfides qui se cachaient dans le creux des arbres morts, ou bien écoutaient les vilaines incantations de certaines sorcières habitant de petites maisons aux toits de chaume. On ne voyait ici aucune fleur, aucun papillon, pas un rayon de soleil. On n’entendait même pas le doux chant des oiseaux.
Andratha souhaitait ardemment envahir le monde de Polotonia pour y étendre ses marécages et régner sur un royaume beaucoup plus grand. Elle eut l’idée un jour d’empoisonner les dragons dans le dessein d’affaiblir les humains. Une nuit, elle se rendit donc à la source de Calvie, où elle déversa un peu de son venin: une plante toxique apparut alors au fond de l’eau. Cette mauvaise plante se développa à grande vitesse, venant polluer les ruisseaux et cours d’eau tout entiers. Leurs émanations devaient bientôt empoisonner tous les dragons.
Les jours suivants, les énormes bêtes vinrent s’abreuver à la source comme à l’accoutumée. Certains tombèrent gravement malades, empoisonnant du même coup les humains auxquels ils étaient liés. Au bout de quelques jours à peine, plus de la moitié de ce peuple fut atteint par ce mal étrange. Aucune plante, aucun remède, aucune incantation n’arrivait à les soigner. Devant ce désastre, Lilly et Mathis, encore sains, prirent la décision de se rendre à dos de dragon tout en haut de la montagne de Polotonia. Endroit exact d’où naissait la source de Calvie. Ce fut une brillante idée car, là, ils découvrirent enfin que l’eau était empoisonnée. L’immense bassin que formait la source avant d’alimenter tous les ruisseaux de Polotonia avait une couleur vert foncée. Elle était glauque et toutes les fleurs alentour fanaient avant de pourrir. La flore du ruisseau se mourait.
Lilly : « C’est une catastrophe! L’eau est empoisonnée! Bientôt tout Polotonia sera contaminé, plus rien ne pourra y pousser et y vivre. Nous disparaîtrons tous! »
Mathis : « Je ne vois qu’une solution : il faut demander l’aide des fées. La reine, Paccora, saura peut-être nous conseiller. »
Les deux enfants remontèrent sur le dos des dragons qui prirent la direction de Shélnicks, la cité des fées. Au milieu du ciel, Lilly se cramponnait aux écailles du cou de Dragonna. Elle était assise à califourchon sur le dos de l’énorme bête à la peau froide et épaisse comme le granit. Les immenses ailes tendues du dragon battaient l’air énergiquement. Ce n’était pas des ailes en plumes mais plutôt une sorte de peau, de membrane souple, solide et élastique. Les cheveux de la petite fille volaient au-dessus de sa tête et le vent dans son visage lui faisait couler quelques larmes le long de ses joues rosies par le vol. Elle regardait le paysage défiler sous ses yeux. Du ciel, tout lui paraissait plus petit et si joli. Soudain Dragonna entama une descente vertigineuse alors Lilly se cramponna de plus belle. Une fois le dragon posé à terre, il replia ses ailes le long de son corps, ainsi Lilly pouvait s’en servir comme d’un marchepied pour descendre. Ils se tenaient dans une immense clairière lumineuse, entourée de petits arbres à fleurs où les fées avaient construit leurs maisons.
Ces jolies fées minuscules, ne semblaient pas plus hautes qu’un pouce humain. Leurs ailes délicates, translucides, possédaient des nervures argentées qui brillaient au soleil. Les fées passaient leurs journées à rire, à s’amuser mais aussi à danser! Une multitude de ces petites fées vinrent au-devant des nouveaux arrivants s’ébattant comme une nuée de papillons. Elles arrivèrent autour des dragons dans un tourbillon frénétique, désordonné et bruyant, jusqu’à ce que Paccora, leur reine, apparaisse à son tour dans son petit char tiré dans les airs par de très jolis machaons. Les petites fées étaient toutes habillées de pétales de fleurs de saison, elles agitaient leurs petites baguettes magiques avec frénésie, dispersant en tous sens de petites paillettes dorées. Elles jacassaient continuellement et se mettaient souvent à rire aux éclats. Elles étaient pleines d’entrain, de malice et d’espièglerie, vives et sans cesse en mouvement. La reine Paccora prit enfin la parole :
« Bonjour mes amis, soyez les bienvenus à Shélnicks. Que nous vaut cette agréable visite ? »
Mathis prit la parole tandis que Lilly, elle, se débattait avec une petite fée curieuse qui s’agitait, entêtée, bourdonnant tout près de son oreille.
« Quelque chose empoisonne la source de Calvie. Les fleurs et les plantes tout autour se meurent. Beaucoup d’entre nous sont terriblement malades. Je crains fortement pour la vie de chacun de nos dragons. Nous ne savons pas quoi faire pour endiguer ce fléau car le mal se répand de plus en plus vite. Paccora, reine des fées, peux-tu nous aider ? »
La reine des fées réfléchit un court instant avant de conclure :
« Nous peuplons le royaume de Polotonia depuis de très nombreuses lunes. Nous y vivons toutes heureuses et en harmonie avec vous, humains. Vos dragons nous sont chers également, et si par malheur toute vie à Polotonia était amenée à disparaître, nous devrions aller vivre ailleurs. Alors oui, mes enfants, je ferai mon possible pour tenter d’assainir les eaux de Calvie. »
Mathis prit la petite reine des fées dans sa main pour la conduire à dos de dragon à la source même de Calvie. Au bord du bassin, la petite fée se pencha au-dessus de l’eau devenue verdâtre. A la vue de cette eau polluée et malodorante, elle fit une petite moue dégoûtée. La colère la poussa à pester dans un jargon de fée incompréhensible. Une fois calmée, la reine des fées vint se tenir droite perchée sur une petite pierre au bord de la source de Calvie. Elle ferma les yeux, se concentra puis agita sa petite baguette magique au-dessus de l’eau. Elle répandit ainsi une fine pluie de poudre de fée qui vint recouvrir le fond de l’eau. La poudre magique tua instantanément la plante maléfique, puis, ballottée par les eaux, cette petite poudre se transforma en pépites d’or qui flottèrent, emportées par le courant pour purifier tous les ruisseaux de la contrée. A ce miracle Mathis et Lilly applaudirent de joie. Mais la fée ajouta :
« Je viens de redonner vie aux eaux de Polotonia seulement je n’ai pas la science pour guérir vos amis. Il faut pour cela que vous demandiez de l’aide aux elfes. Eux seuls peuvent, peut-être, trouver un moyen de guérir les dragons. »
Dès que Lilly et Mathis eurent raccompagné Paccora au royaume de Shélnicks, ils remontèrent sur le dos de Dragonna et de Dragus et s’envolèrent dans le ciel, à la recherche de la cité perdue des elfes. Les deux dragons étaient montés très haut car il fallait traverser les nuages pour atteindre la cité des elfes. Lilly et Mathis fermèrent les yeux pendant cette ascension vertigineuse et se cramponnèrent de toutes leurs forces aux écailles de ces bêtes volumineuses. Lorsqu’ils rouvrirent les yeux, les dragons tournoyaient lentement au cœur d’épais nuages blancs, cotonneux, au-dessus d’une ville faite de glace, bâtie sur une sorte de cumulus géant. Les énormes bêtes semblaient attendre une autorisation afin de pouvoir se poser près d’une grande bâtisse cristalline. Le son d’une brume se fit entendre alors Dragus et Dragonna atterrirent sur le nuage. Lilly et Mathis n’osèrent pas mettre pied à terre, ils restèrent assis sur les dragons et attendirent. Au bout de quelques instants, deux elfes sortirent, enfin, de la citadelle cristalline. Ils étaient grands et sveltes, avec un visage fin, presque translucide. Leurs yeux en amande semblaient d’un bleu clair surnaturel. Ils se déplaçaient de façon très aérienne, touchant à peine le sol de leurs pieds. Ils sourirent aux deux enfants pour les rassurer.
L’un d’eux prit la parole:
« Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas eu la visite d’un humain. Soyez les bienvenus à Arkandéra, vous et vos deux compagnons. Comment va le monde à Polotonia? »
Lilly, quelque peu rassurée par ces bonnes paroles, osa expliquer :
« Un mal étrange est venu empoisonner la source de Calvie, infectant ainsi tous les cours d’eau. Paccora, la reine des fées est venue neutraliser ce mal, mais hélas trop tard! Beaucoup de nos dragons ont été contaminés. Ils sont devenus gravement malades et avec eux leurs humains de cœur et d’âme. Aucune de nos médecines n’arrive à les soigner, leur mal empire de jour en jour… »
Les elfes s’attendrirent devant les larmes sincères de la petite fille.
« Nous allons voir si nous pouvons faire quelque chose! »
Les deux elfes montèrent avec les enfants sur le dos des deux dragons qui s’envolèrent de nouveau pour Polotonia. Les elfes posèrent les pieds sur une prairie jonchée des corps agonisants de tous ces dragons et de leurs humains gravement malades. Tout n’était que tristesse, pleurs et plaintes. Un des elfes prit la gueule d’un dragon contaminé entre ses mains. Il se mit à parler dans une langue inconnue par tous les habitants de Polotonia. Il débitait des mots non pas en chantant mais en récitant un psaume lancinant. Il avait plongé son regard dans celui de l’animal puis, tout en continuant de psalmodier, il toucha de sa main la tête de l’énorme bête, juste entre les deux yeux. A cet instant, une sorte d’énergie cosmique de couleur bleue vint prendre racine juste au bout de ses doigts, une énergie qui traversa les écailles de l’animal, lequel eut comme un soubresaut. Lorsque l’elfe se recula, le dragon secoua la tête, tituba mais finit par se remettre sur pied. Il semblait guéri. Tous ceux qui étaient encore bien portant et qui avaient assisté à cette séquence étrange, applaudirent. Les deux elfes recommencèrent ce procédé magnétique sur tous les dragons agonisants, jusqu’à ce que tous se relèvent enfin, guéris. Petit à petit, leurs humains se rétablirent également.
Un des elfes se tourna vers Mathis et Lilly, il expliqua :
« Seul un cristal énergétique formé à partir d’une pluie interstellaire pouvait venir à bout du mal qui les rongeait. L’énergie fluide qu’on leur a transmise s’est également cristallisée à l’intérieur de leur cavité crânienne. Il agit comme un antipoison. Maintenant tout ira bien, rassurez-vous. »
Les elfes repartirent à Arkandéra, heureux d’avoir pu venir en aide aux habitants de Polotonia ainsi qu’à leurs dragons. Par sécurité, quelques dragons montèrent discrètement la garde près de la source de Calvie durant plusieurs lunes. Et ils avaient bien fait car, Andratha, voyant que son plan avait échoué une première fois, récidiva. Elle revint une nuit afin d’inoculer une fois de plus son venin dans la source mais, prise sur le fait, un énorme dragon lui cracha son feu à la figure. La reine des marécages s’embrasa, elle fut carbonisée sur le champ. Finalement, à vouloir plus que ce qu’elle possédait déjà, elle venait de tout perdre, jusqu’à sa vie.
Les habitants de Polotonia crurent qu’ils allaient enfin pouvoir vivre très longtemps heureux sur cette terre paisible. Seulement les elfes avaient, sans le vouloir, inoculé un cristal rare à presque tous les dragons de la région de Calvie. Cette pierre bleue allait bientôt être reconnue comme étant un antidote efficace et inestimable, qu’on appellera Dragonnite. Plus tard, la Dragonnite sera désirée et très recherchée par tous, mettant en péril la vie des tous les dragons sur terre, mais ceci est une autre histoire …
Fin